Zéropolis

Cécile Fromont

Peintre de l’urbain, Patrice Mortier s’intéresse à la question du paysage depuis les années 90. Largement engagé depuis les années 60, le débat sur le paysage urbain s’ouvre progressivement sur le devenir des villes et des territoires au moment où leur transformation inquiète et où la reconstruction d’une identité et d’une représentation collective devient nécessaire.

 

Pour Patrice Mortier, le paysage, c’est l’aspect d’un lieu, c’est une distance qu’on prend par rapport à sa vision quotidienne de l’espace. Cela demande une certaine disponibilité de temps et d’esprit qui permet de prendre la mesure d’un lieu quel qu’il soit.

 

C’est ainsi que l’artiste s’attache à peindre des vues urbaines : mouvement de foules dans les grandes métropoles du monde, carrefours où s’enchevêtrent voitures, bus ou piétons, lieux de transit et périphéries, routes et pylônes traversant un paysage… Jouant sur la géométrie et les perspectives des éléments architectoniques et sur une lumière qui adoucit les lignes, il s’emploie à forger les schèmes visuels qui nous les rendront acceptables, esthétiques, voire poétiques. Ces images contribuent à façonner véritablement la réception que l’on a de ces paysages dans lesquels on passe quotidiennement sans les voir. Il importe de comprendre qu’un paysage en tant qu’image n’a pas d’existence propre en dehors du regard qui est porté sur lui.

 

Cette approche se réfère à la notion d’artialisation avancée par Alain Roger dans son Court traité sur le paysage. « Nous serions devant nos ville (…), dans le même dénuement perceptif qu’un homme du XVIIème siècle face à la mer et à la montagne. « C’est un  affreux pays  qui ne suscite que répulsion ». Cependant comme la mer, la montagne et, au siècle dernier, le désert ont été « artialisés » sous l’influence de la peinture, de la poésie et de la littérature, il est probable que la ville connaisse une telle métamorphose dans l’œil de ceux qui apprendront à la regarder.

 

Qu’il explore ou fréquente ces espaces de vie réellement ou virtuellement par le biais d’Internet, Patrice Mortier travaille toujours à partir de  photographies prises par ses soins ou capturées sur l’écran via les webcams. Les vues sont avant tout documentaires et c’est par un long travail informatique de déconstruction puis de reconstruction de l’image que l’œuvre s’élabore.

 

A partir de ses ombres et lumières, de sa densité ou de ses reliefs, l’image se dématérialise puis reprend forme, réinterprétation subjective et sensible d’un environnement a priori sans qualité, devenu paysage.

 

Ses peintures sont réalisées essentiellement avec des aplats, l’image se construit par une succession de formes peintes les unes sur les autres.

 

Vibrante et pixellisée, sa touche picturale invite le spectateur à se déplacer devant l’œuvre pour la voir plus abstraite au plus près, jusqu’à frôler le réalisme avec le recul. L’artiste réalise également de nombreux travaux sur papier, à l’encre ou à l’aquarelle, et expérimente de nouveaux supports d’impression technologique (bâches, caissons lumineux, supports plastiques etc..) dans les formats les plus divers.

 

Ses propositions artistiques visent toujours à réveiller le regard du spectateur, l’amenant à reconsidérer et à s’approprier des paysages ou des espaces qu’il traverse sans les voir.

 

 

Cécile Fromont, 2009